Manifestations

José Castillo et les photographies picturales des manifestations de rue à Paris,
2006-2012

La photo picturale artistique a semble-t-il existé depuis l’apparition des tous débuts de la photographie*. Très vite, certains artistes ont voulu agir, soit sur le film, soit sur le tirage, pour rendre l’expression artistique, au plus près de leurs sensations ou émotions, et ainsi donner à la photo son statut d’Art.
L’ajout de couleurs est plus tardif. Il remonte aux premières années du XXème siècle. C’est dans cette filiation que nous retrouvons José Castillo, avec son dernier travail artistique sur des photos de manifestations parisiennes qu’il a suivies depuis plusieurs années. Cette mise en œuvre pictographique est une recherche esthétique au fil des ans ; elle scande les débats de rue, que l’artiste modifie par la couleur, en une transfiguration singulière à chaque photo.
José Castillo poursuit un travail de témoignage et de mémoire qui s’ancre sur deux concepts : une position ferme de témoin et un travail de reconstruction de la mémoire. Ces deux lignes se rencontrent fortes et sous tension dans sa peinture, qu’il a commencé à cerner de cadres « habités » par des signes, qui invitent à une lecture narrative, avec un avant et un après, tableau après tableau.
La transformation et la transfiguration ont sans cesse surgies dans son travail, dans ses peintures d’habits, de chaussures mais aussi de télévision, de sculptures, de gravures qu’il a enrichies de papiers de couleurs, arrêtant là, le mouvement, là, l’approfondissant…
Dans ces dernières années, simultanément à la photographie picturale des manifestations, José Castillo a élaboré un travail photographique sur le temps, à partir d’un cosmos biologique en miniature, de pommes de terre, qu’il a transfigurées en d’étranges visages qui invitent à une rencontre inédite. Porteurs d’une riche gamme d’émotions, qui vont de la tendresse au comique, de l’effroi à la terreur, ces visages engagent une lente métamorphose sous l’égide du Temps à l’image du corps et du visage humain.
Avec ce dernier travail sur des photos de manifestations ayant eu toutes lieu à Paris, et ceci sur plusieurs années, José Castillo semble poursuivre son engagement artistique et humain sur le témoignage et le temps. On retrouve sa veine narrative. Les émotions sont présentes dans les mises en scènes des manifestations choisies, les postures des corps, les mouvements qui accompagnent les revendications.
Le temps est discontinu, mais il est aussi continu dans ces manifestations, accompagnées au fil des ans. « On peut remonter à plus de six ans » dit l’artiste.
Les thèmes vont de la révolte contre le CPE, à la défense de l’école ou des retraites. Les photos travaillées avec l’outil numérique, par l’ajout des couleurs, se transfigurent en une communication artistique. Des éléments de la scène photographiée, que cela soit des corps, des visages, ou bien des éléments du décor de la rue, sont transformés par la couleur créant une nouvelle vision, une nouvelle réalité.
Avec cet écart, ce décalage, une distance surgit due à la démarche esthétique.
Cette étrangeté apportée par la couleur et par la composition nous désarçonne tout en nous questionnant. Ce qui est le but de l’artiste. Nous faire perdre les repères pendant un temps. De la manifestation elle-même, du contenu propre à chaque manifestation, pour sacraliser la rue et ceux qui s’en sont saisis, le temps d’une passion et d’un débat !


Rosa Guimaraes, Paris novembre 2012

* La photographie Europe picturale en 1888-1918
 sous la direction de F. Ribemont, P. Daum, 2005, 
Le Point du jour Editeur et musée des Beaux-Arts de Rennes